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Le marché du sciage mise sur la transition énergétique et la mécanisation

Après deux années d’investissements records, le sciage français marque une pause. La hausse des prix des bois et de l’énergie impacte l’activité des entreprises. Les industriels misent sur l’optimisation des process de production et de séchage, à la fois pour pallier les difficultés de recrutements et mieux maîtriser les factures. Les appels à projets du gouvernement, lancés dans le cadre de France 2030, encouragent les acteurs à transformer leur modèle. BoisMag zoome aussi sur les défis de la filière de la palette et de l’emballage bois et les nouveaux critères de l’écocertification des bois et des entreprises.

Par Hubert Vialatte

Après l’euphorie post-Covid, les scieries freinent leurs investissements

Retour à la normale du côté des investissements dans les scieries françaises en 2023. La partie du Plan France 2030 dédiée à la filière bois, qui représente près de 800 M€ d’aides à l’investissement pour le développement du bois matériau en France, et l’emballement du marché pendant le Covid et en sortie de Covid ont généré une accélération des investissements entre 2021 et 2022. «D’habitude, les scieries françaises investissent environ 350 M€ par an. Sur les deux dernières années, nous n’étions pas loin du double ! La suractivité a porté le niveau d’investissements », remarque Nicolas Douzain, délégué général de la Fédération Nationale du Bois (FNB). En 2023, la FNB observe «un retournement de situation, avec un retour au rythme de 2019 ». Parmi les points de blocage, « le coût du matériel de scierie, qui a augmenté de 40% en 4 ans, et les délais d’instruction des projets industriels, qui s’allongent. Or, un industriel a besoin de visibilité pour investir…» . Les principaux postes de coûts ont tous augmenté en même temps  : électricité (prix multiplié par trois en moyenne, selon la FNB), les salaires (+7% en 2022) et les assurances (entre +20% et +30%). «Dans un tel contexte, il est difficile d’investir. En 2023 et 2024, nous n’aurons pas le même niveau d’investissement que sur la période 2020-2022. » Pourquoi ne pas augmenter les prix ? «Les scieurs pourraient le faire si la demande, de leur côté, augmentait. Mais ce n’est pas le cas. »

Séchage, sciage : pistes d’innovation du FCBA

«Les entreprises de 1re transformation ont été touchées par l’augmentation des coûts de l’énergie, même si celle-ci est largement décarbonée, soit électrique soit provenant de biomasse, renchérit Clément l’Hostis, ingénieur d’études et de recherche, chargé des scieries, au FCBA. Mais faire tourner des ventilateurs de séchoirs consomme de l’énergie. » L’institut technologique FCBA travaille à la mise en place de conduites de séchage, pour moins dépendre des marchés de l’énergie. «L’objectif est de pouvoir objectiver les consommations éner gétiques en lien avec la qualité des bois. Il y a plusieurs possibilités pour sécher du bois – différentes phases, températures variables… En jouant sur les différents paramètres, nous trouvons des optimisations sur la qualité de séchage. » Autre piste d’étude, l’optimisation du process de sciage. «Nous pouvons simuler le fonctionnement d’une ligne de sciage, en prenant en compte les formes des grumes, les qualités des bois, les rendements et la productivité. Cette modélisation complète de la ligne permet de jouer sur les variables. Et de se poser des questions pertinentes  : Que se passe-t-il en cas de remplacement de machine ? Ou bien, si je change d’approvisionnement ? Nous sommes aujourd’hui en mesure de le faire techniquement. La demande n’est pas encore très importante sur ce créneau, mais le potentiel de développement est important. » Des PME sont déjà bien engagées. Face à la « diminution, depuis cinq ans, des compétences dans les scieries », pour reprendre l’expression de son dirigeant Édouard Ducerf, le Groupe Ducerf intègre par exemple des scanners pour le classement du bois. «La machine doit venir aider les pénuries en termes de ressources humaines. Doter nos sites d’outils de production performants peut aussi rendre plus attractif. Nous devons donner envie aux jeunes de venir. Le retard de notre filière est en train d’être rattrapé. »

Des besoins de séchage inscrits dans la transition énergétique

Point positif : dans le cadre de France 2030, plusieurs appels à projets sont lancés, dont BCIB (Biomasse Chaleur pour l’Industrie du Bois), réservé aux projets biomasse supérieurs à 4 000 MWh/an pour chauffer des industries du bois manufacturières, est unanimement salué. Il vise la production de chaleur renouvelable à partir de co-produits de l’industrie du bois pour répondre aux besoins de séchage. Alors que la deuxième consultation s’est clôturée le 27  février (lauréats pas encore rendus publics), une première phase a permis de sélectionner onze lauréats (176  M€ d’investissements) qui seront aidés à hauteur de 67 M€.

«L’aide permettra aux industriels d’être autonomes en énergie, sujet prégnant dans le contexte actuel, et de décarboner l’étape clé du séchage, priorité pour permettre une meilleure valorisation du bois », indique le ministère de l’Économie dans un communiqué diffusé en décembre dernier

Rappelons que trente autres projets d’investissements ont été sélectionnés dans le cadre de l’appel à projets France 2030 Systèmes Constructifs en Bois, représentant 800  M€ d’investissement, accompagnés à hauteur de 125 M€. «Une dynamique est créée au sein de la filière par ces appels à projets. Ils permettent de générer des investissements dans les moyens de séchage, les chaudières et la cogénération. Les projets portent aussi sur le rabotage et le bois collé. La démarche est donc bénéfique jusqu’à la 2e transformation», commente Nicolas Douzain. Selon lui, « il est important de monter en gamme. L’industrie du bois a des besoins de séchage et, par voie de conséquence, des besoins de vapeur à un coût compétitif »

Son message aux scieurs se veut d’ailleurs optimiste. « Il faut garder confiance en l’avenir. Le bois est le matériau de la RE2020. Il va s’apprécier d’année en année. Il faut avoir foi en l’avenir, et regarder l’horizon plutôt que la conjoncture immédiate. »

La transition écologique impliquera en effet «un recours accru au bois, comme matériau, notamment dans le bâtiment où la RE2020 encourage la construction bois, mais aussi comme intrant pour l’industrie, souligne le ministère de l’Industrie. Ces deux défis impliquent également une mutation majeure de la filière, aujourd’hui trop peu positionnée sur la transformation en bois technique, qui va être nécessaire pour développer le recours au bois construction, et trop peu capable de produire et collecter sur le territoire national les déchets de transformation nécessaires au développement de la ressource biomasse. Un effort d’investissement important est nécessaire ». «Les pouvoirs publics affichent une volonté de développement du bois d’œuvre, pour sortir des bois de façon compétitive », observe Clément L’Hostis.

Accélération de la numérisation, sur fond d’uniformisation européenne

Selon Nicolas Douzain, « les robots sont en train de s’installer fortement dans les usines, et la pénurie de main-d’œuvre accélère le phénomène. Ils sont désormais présents à toutes les étapes de la production. Le matériel vient remplacer l’humain pour bouger le bois, le soulever, le palettiser, pour clouer, coller, abouter…Chaque étape a une solution de robotisation ! » Le tout, sur fond d’uniformisation européenne, car « l’offre de matériel est très concentrée. Les marchands de machines harmonisent de fait le marché ».

En termes d’optimisation des process, la scierie Lefebvre mise sur l’utilisation de machines pilotées par caméra, telles que la déligneuse et la tronçonneuse d’optimisation. «La caméra détecte les défauts et la qualité du bois, et le tri. Cela nous permet d’augmenter la cadence des machines, d’augmenter le volume de production et donc de gagner en productivité », déclare Joël Lefebvre. Autre avantage très important à l’utilisation de ce procédé, la réduction de la pénibilité du travail.

L’intelligence artificielle et les méthodes d’imagerie s’invitent dans la danse, « par exemple sur la tomographie (variation de densité) à l’intérieur de la grume, relate Clément L’Hostis. Les singularités et les qualités mécaniques vont alors apparaître, alors que, d’ordinaire, vous ne pouvez pas connaître ces paramètres intrinsèques avant le sciage. Si l’opérateur le sait avant, il peut optimiser les débits ». L’intérêt est aussi de faire remonter des informations au niveau de sylviculture, « pour favoriser tel ou tel type de sol, telle ou telle opération de sylviculture »… Autant d’informations « très intéressantes, qui ne concernent que peu de sites encore à ce jour. Les façons de travailler des scieries sont très hétérogènes. Certaines sont très en pointe, sur un aspect technologique et méthodologique, avec des systèmes de traçabilité intéressants. Mais, dans l’ensemble, le potentiel de développement est important pour rationaliser la transformation et arriver à se servir des technologies afin de mieux intégrer la ressource ».

Autre piste d’avenir : des unités technologiques capables de prédire la qualité des sciages, en fonction du mode de sciage et des données de sylviculture. «En couplant ce type de solution avec l’optimisation du process de sciage, on peut arriver à des gains de productivité très conséquents. »

Résineux : L’effondrement de l’immobilier neuf booste la rénovation

Selon la FNB, la demande de résineux a ralenti, et la filière ne connaît pas de problème d’approvisionnement. Les perspectives sont là, selon Nicolas Douzain. «Le marché de l’immobilier neuf s’effondre. Par ricochet, cette contraction porte les marchés de la rénovation et de la surélévation, où les résineux français excellent. L’activité des scieries françaises, orientée à 70% vers la rénovation, jouera un rôle d’amortisseur face à la crise de la production dans le neuf. »

«Nous revenons à une activité équivalente à l’avant-Covid », constate Thomas Seve, directeur général du groupe Monnet-Seve Sougy (Outriaz, Ain), spécialisé dans le sciage du résineux sur les essences de sapin, épicéa et douglas. Propriétaire de cinq scieries sur le territoire français, la société Monnet-Seve Sougy reconnaît avoir eu un « premier semestre 2023 meilleur que ce imaginé, bien que les volumes soient moins importants que l’année dernière à la même période, indique son directeur général. Le plus compliqué sera la fin d’année, vers le mois d’octobre, et 2024 ». Et pour cause : l’inflation, la hausse des prix des matières premières, l’augmentation des taux d’intérêts, la diminution de l’activité de construction… « Il va y avoir des répercussions sur notre activité », anticipe Thomas Seve.

En dépit de la hausse de la dépense de l’énergie, dont les prix ont été multipliés par trois, le groupe MonnetSeve Sougy, , a pris le pari de diminuer le prix du sciage. «À la demande de nos clients, nous avons baissé le prix du sciage entre 2022 et 2023 », explique Thomas Seve. L’objectif : continuer de remplir le carnet de commandes. Le Groupe est également touché par la hausse de la matière première, le bois. «Avec une forte augmentation sur la période 2021-2022, le prix de matière première se maintient depuis l’année dernière. Certes, il n’y a plus de hausse, mais le prix ne redescend pas pour autant », soulève Thomas Seve.

Quant à l’avenir, Thomas Seve émet des réserves. « II faut voir comment le marché va évoluer. Mais pour avancer, il est certain que nous avons besoin entre autres du soutien des banques et de l’État, lance-t-il. Avec la RE2020, certes le bois est mis en avant, mais il ne faut pas qu’il y ait trop de contraintes. Il ne faut surtout pas décourager les personnes qui veulent construire  ! À un moment donné, le gouvernement devra faire quelque chose pour soutenir la construction. » Acquisitions de classeurs, d’un centre de reprise… Depuis quelques années, Monnet-Seve Sougy a investi « entre 10 et 15 millions d’euros », calcule Thomas Seve. Le Groupe investit également dans des logiciels d’aide à la décision. « Il s’agit de logiciels qui indiquent quelle section scier en fonction de la grume. Ces logiciels permettent d’améliorer les rendements des scieries », admet le directeur général de Monnet-Seve Sougy.

Enjeux de formation

«Les aspects de formation et l’approche globale deviennent stratégiques », insiste Clément L’Hostis. Sur les postes techniques, par exemple, « il faut maîtriser l’application des traitements de préservation (maîtrise du process, pour un bois bien traité, en utilisant la juste quantité de produit), le séchage (un séchage optimisé évite des problèmes qui peuvent coûter cher, et il n’y a rien de pire que de proposer des bois avec de la non-qualité !) et le classement des sciages, un point crucial pour vendre les bois au meilleur prix ». Pour relever ces enjeux, le FCBA vient de lancer une charte de bonnes pratiques, pour favoriser l’amélioration continue des compétences des salariés. « Il ne s’agit pas d’une certification, mais d’une démarche de suivi dans le temps des compétences des collaborateurs dans les scieries. »

Déficit d’approvisionnement et dépérissement : le feuillu dans le dur

Alors que les résineux ne rencontrent pas de problèmes d’approvisionnement, la situation est toute autre pour le feuillu, souligne la FNB. D’un côté, des carnets de commandes qui se situent à un bon niveau, correspondant à des travaux à l’intérieur des maisons. D’un autre côté, « les scieries sont bridées par la pénurie, notamment en hêtre et en chêne. Ce dernier devient un produit de luxe en France. Plus il y a de l’export en Chine, moins il y aura de travail pour les scieries françaises », tacle Nicolas Douzain, qui évoque « le poison de l’exportation de grumes ». Les scieries françaises ont ainsi manqué «de 20% d’approvisionnement ». « Il n’y a pas assez de choses de faites pour interdire l’exportation de grumes », renchérit Édouard Ducerf.

Pourtant, les acteurs du bois se sont engagés, en février 2022, sur des mesures destinées à endiguer ces exports de grumes vers la Chine, via un pacte signé avec le ministre de l’Agriculture d’alors, Julien Denormandie. «Mais la force de l’exportation est telle que le mouvement ne s’est pas infléchi depuis », regrette Nicolas Douzain. Avec la guerre en Ukraine, la Russie a fermé la porte à l’exportation de ses grumes, « et la Chine s’est retournée sur la France, qui devient l’une de ses seules alternatives. Et la politique de la Commission européenne est de laisser faire. On a ce que l’on mérite. Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas pléthore de ressources de qualité. Il ne faut pas confondre bois d’énergie et bois d’œuvre. On ne construit pas une maison avec des brindilles  ! » Sans cette garantie d’approvisionnement, « il devient beaucoup plus compliqué d’investir, car les banques demandent des garanties de volumes ».

«Depuis le Covid, la filière a connu beaucoup de perturbations. On importe beaucoup de sciage, confirme Clé ment L’Hostis. C’est un point qu’a souligné le président de la République lui-même, pointant la contradiction entre le fait que la France possède l’une des plus grandes forêts d’Europe, et le fait que la filière accuse un déficit commercial, y compris au niveau des sciages. La ressource des feuillus, au niveau national, représente plus des deux tiers du bois sur pied en France, et n’est pas valorisé à la hauteur des volumes possibles. Comment peut-on valoriser les feuillus en construction ? Les appels à projets en cours sont montés pour trouver des systèmes qui valoriseront les feuillus au mieux. Aujourd’hui, la transformation des feuillus est plus chère que les résineux. Pour rendre les feuillus plus compétitifs, il faut mettre davantage de matière première sur le marché. » Autre écueil, l’effet du réchauffement climatique. «Dans l’est de la France, nous enregistrons 30% de hêtres dépérissants. L’ONF peine à servir les contrats signés. Cela signifie que le changement climatique est déjà présent. Le plan d’adaptation de la forêt au changement climatique vise à renouveler la forêt pour l’adapter aux nouvelles conditions. » 150 millions d’euros sont mis sur la table. Avec une priorité, selon la FNB : «Concentrer nos récoltes sur les surfaces forestières où le besoin de renouvellement est le plus urgent. » Le Grand Est, le Rhône-Alpes, l’Aquitaine et la forêt ligérienne « sont parmi les premiers concernés ». «On sent que les arbres souffrent. Les houppiers de chêne sont moins étoffés que par le passé. Des massifs entiers souffrent du réchauffement climatique et du manque d’eau», alerte Édouard Ducerf. «Les notions de résilience et d’adaptabilité sont revenues, avec le scolyte par exemple. Les forêts vont connaître des perturbations du fait du changement climatique, enchaîne Clément l’Hostis. Il faut pouvoir y répondre, pour ne pas déstabiliser une filière vertueuse, le bois étant lui-même un élément de réponse à la lutte contre le changement climatique. FCBA s’efforce de rassurer, via des caractéristiques techniques importantes. Par exemple, nous avons démontré que sur des éléments de transformation, le scolyte n’avait pas eu d’impact sur les aspects de qualité de séchage. »

Ducerf investit, en 2022 et 2023, un million d’euros dans les mécanisations, les ventouses, l’empilage… «La mécanisation réduit la pénibilité du travail des opérateurs, et nous permet d’être plus attractif en termes de marque employeur. Le recrutement est devenu très compliqué ! », observe Édouard Ducerf. La digitalisation porte sur le système d’information, pour l’optimisation et la production, et sur les stocks. Investissement à venir, la réfection intégrale du parc à grumes. Le projet, prévu pour 2024, est chiffré à 2,5  millions d’euros. Dans sa nouvelle version, l’outil sera doté de scanners dans un second temps, « pour intégrer des machines de numérisation en amont du sciage. Une dimension IA sera incorporée dans un deuxième temps », projette le dirigeant. Côté conjoncture, la stabilité des prix du bois à l’achat, entre le deuxième semestre 2022 et le premier semestre 2023, « est une bonne nouvelle, après une hausse de 50% en trois ans  ! » D’autant plus que les prix de vente doivent rester stables. «Nos charges augmentent, entre rémunérations, frais financiers, soustraitance, pièces détachées, assurances et énergie… Mais les marchés sont moins réceptifs à de nouvelles augmentations de prix. Le contexte de consommation n’est pas si favorable. Conséquence, les marges se tassent par rapport aux exercices précédents. »s aspects de qualité de séchage. »

Lefebvre investit plus de 3 M€ dans des nouveaux séchoirs

Sur le marché du sciage feuillu, le hêtre a du mal à trouver sa place en France. « Seulement… 0,05% de notre production est vendue en France !, soulève Joël Lefebvre, président du groupe Lefebvre, scierie spécialisée dans le feuillu et notamment le hêtre. Nous exportons notamment en Asie, au Maghreb et au Moyen-Orient ». L’explication : le hêtre est un bois destiné principalement à l’ameublement, notamment aux chaises. Des produits qui ne sont quasiment plus fabriqués en France, mais plutôt dans des pays où la main d’œuvre est moins chère. Comme ses confrères, le groupe Lefebvre a été impacté par la hausse du prix de l’énergie. Multiplié par 4 entre 2022 et 2023, «nous avons dû installer des groupes électrogènes pendant quatre mois pour pallier cette hausse des prix, explique Joël Lefebvre. Nous avons essayé de monter les prix, mais vu l’état du marché, ce n’est même plus la peine d’y penser ! » «Nous sommes inquiets pour le deuxième semestre 2023 », admet Joël Lefebvre. En ce qui concerne les investissements à venir, «nous avons l’intention de développer notre capacité de fabrication de bois abouté afin de faire de la valeur ajoutée en France et ainsi d’éviter d’envoyer des planches au bout du monde. Cependant, étant donné que les utilisateurs français sont repartis acheter dans les pays à bas salaires, notre décision est remise à plus tard». En septembre 2022, le groupe Lefebvre a investi 3,2 millions d’euros dans cinq nouveaux séchoirs et une station d’empilage de planches.

Ducerf accélère sur la digitalisation et refait son parc à grumes

Ducerf investit, en 2022 et 2023, un million d’euros dans les mécanisations, les ventouses, l’empilage… «La mécanisation réduit la pénibilité du travail des opérateurs, et nous permet d’être plus attractif en termes de marque employeur. Le recrutement est devenu très compliqué ! », observe Édouard Ducerf. La digitalisation porte sur le système d’information, pour l’optimisation et la production, et sur les stocks. Investissement à venir, la réfection intégrale du parc à grumes. Le projet, prévu pour 2024, est chiffré à 2,5  millions d’euros. Dans sa nouvelle version, l’outil sera doté de scanners dans un second temps, « pour intégrer des machines de numérisation en amont du sciage. Une dimension IA sera incorporée dans un deuxième temps », projette le dirigeant. Côté conjoncture, la stabilité des prix du bois à l’achat, entre le deuxième semestre 2022 et le premier semestre 2023, « est une bonne nouvelle, après une hausse de 50% en trois ans  ! » D’autant plus que les prix de vente doivent rester stables. «Nos charges augmentent, entre rémunérations, frais financiers, soustraitance, pièces détachées, assurances et énergie… Mais les marchés sont moins réceptifs à de nouvelles augmentations de prix. Le contexte de consommation n’est pas si favorable. Conséquence, les marges se tassent par rapport aux exercices précédents. »

L’une des solutions est «d’aller plus loin dans la transformation des produits, en maîtrisant de plus en plus le process aval, pour capter davantage de valeur ajoutée ». La tendance, selon lui, est à un nombre de plus en plus réduit d’acteurs, « qui développeront de plus en plus leur production, en allant plus loin dans la transformation, jusqu’à la 2e transforma tion». Le groupe Ducerf est engagé dans cette voie, avec, par exemple, le développement de produits à destination de la construction bois, à partir de 2024. « Il y a une demande naissante de murs CLT en chêne, avec les évolutions réglementaires dans la construction, qui imposent l’utilisation de matériaux biosourcés », ajoute-t-il.

Comment Gaudelas a géré la hausse des prix

La scierie Gaudelas, spécialisée dans le chêne, évolue dans un marché porteur. «Dans l’ensemble, le marché est tonique. Les années Covid ont été plutôt favorables dans notre secteur d’activité, et aujourd’hui, on risque en quelque sorte de retourner à la normale », raconte Pascal Gaudelas, directeur général du groupe éponyme. Ce dernier est optimiste sur l’avenir. «Le bois, c’est le matériau du XXIe siècle. Avec une prise de conscience sur la consommation, on se tourne plus facilement vers le bois, qui peut être recyclé, contrairement au plastique ou à d’autres matériaux de ce type », déclare Pascal Gaudelas, qui précise que ce sont notamment les moins de 35 ans qui y sont le plus sensibles.

Cependant, la scierie Gaudelas est confrontée à certaines difficultés. «Nous nous posons beaucoup de questions sur la conservation des forêts. Dans notre métier, il va falloir se remettre en cause », anticipe Pascal Gaudelas. Toujours en termes d’environnement, les clients se tournent de plus en plus vers du bois européen « pour la traçabilité, le bilan carbone, etc. Nous devons accepter de prendre ce virage. Il faut trouver un équilibre entre le marché européen et les prix des bois qu’on trouve dans nos forêts », analyse Pascal Gaudelas. Autre problématique, la hausse des prix des matières premières et de l’énergie. «Il y a de grosses tensions sur l’approvisionnement et l’achat des matières premières, notamment du fait d’une demande assez forte et des prix qui ont augmenté», explique Pascal Gaudelas. Des prix qui selon lui ne vont pas aller à la baisse. Et tout comme les matières premières, le prix de l’énergie a également grimpé. «Il a été multiplié par six entre 2022 et 2023, au moment du renouvellement de notre contrat !, s’exclame Pascal Gaudelas. Mais pour faire tourner une scierie, nous avons besoin d’électricité. Donc nous n’avons pas eu d’autres choix que d’augmenter nos prix.»

Des projets pour maîtriser le coût de l’énergie

La scierie Gaudelas entend installer courant 2024 des panneaux photovoltaïques sur son site de production à Neuvy pour produire en quasi-autonomie son électricité. L’investissement s’élèvera à 200 000 euros. Par ailleurs, en 2022, la scierie Gaudelas a procédé à l’acquisition d’un séchoir à bois pour 150 000 euros et d’un bâtiment de stockage destiné à mettre à l’abri le bois pour le sécher, pour 300 000 euros.

Ducerf voit pour sa part le contrat avec son fournisseur d’énergie arriver à son terme. « Nous allons devoir renégocier au deuxième semestre, en espérant une hausse de “seulement” X2 ou X2,5. » Pour « ne pas être soumis aux variations de prix », la PME porte un ambitieux projet de cogénération, chiffré à 16  millions d’euros et devant être aidé à hauteur de 50%. L’objectif est « d’utiliser une partie de la biomasse, en la brûlant. La chaleur est convertie en énergie électrique, pour produire 200% des besoins en électricité de la scierie (l’énergie thermique servira à l’alimentation des séchoirs et des bâtiments de production) », détaille Édouard Ducerf. L’excédent sera revendu à EDF et, peutêtre, au réseau de chaleur local.

3e édition de Futuropalettes

Après des années 2021 et 2022 de forte croissance, « la conjoncture change en 2023. Une détente se fait sentir. On retrouve du souffle, on retravaille de façon plus sereine, explique le président de la commission SYPAL de la FNB. Le marché de l’emballage est en effet totalement corrélé à l’industrie (50 % du volume consommé dans les industries manufacturières), et les indicateurs industriels ralentissent, du fait de l’augmentation des prix de l’énergie. Nous sommes donc impactés par effet domino ». Un réajustement tarifaire est observé au niveau du bois emballage, avec – 4,6 % observé au premier trimestre 2023 par rapport au T4 2022 (CEEB).

La filière prend déjà rendez-vous les 27 et 28 novembre à Lille (Couvent des Minimes) pour la 3e édition du salon biannuel Futuropalettes, avec un colloque « La palette bois dans la chaîne logistique du futur ». « La palette bois enregistre un très fort développement depuis les années 80 et s’impose aujourd’hui comme l’outil de référence de la logistique moderne. On l’a vu pendant les confinements, où la palette a soudainement occupé le devant de la scène pour son rôle essentiel dans la chaîne logistique  !  » Parmi les thèmes abordés lors de Futuropalettes 2023 : la France, un territoire leader de la logistique durable ; Les perspectives du marché de l’approvisionnement en palette bois en France et en Europe  ; Les réalités, contraintes et enjeux de la ressource bois  ; La place de la palette bois dans la logistique 4.0 ; La contribution de la filière forêt bois / palette face aux enjeux environnementaux ; Le séchage artificiel et traitement phytosanitaire NIMP15 ; Les dés en bois moulé : potentiel de développement en France et en Europe ; Les nouvelles réglementations environnementales sur les emballages…

Le marché de l’emballage bois représente 17 400  emplois directs et un CA de 1,5  Md€  : 842 M€ pour la palette et la caisse-palette, 257 M€ pour l’emballage léger en bois et 413 M€ pour l’emballage industriel / caisserie, indique un document de 2020 (derniers chiffres disponibles) édité par le bureau d’études Gallileo, reprenant des données du Siel, Seila, FNB et Sypal. Les emballages en bois sont principalement commercialisés auprès de l’industrie agro-alimentaire (34 %), la chimie-pharmaceutique (12 %), la métallurgie/verre (12 %), le transport/énergie (11 %).