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Interview de Jean-Baptiste Aurel, membre de la société des Experts Bois et dirigeant de Woodenha Industries

« Si nous cessons d’aspirer à l’excellence, nous ne serons plus bons »

Jean-Baptiste Aurel

Pour ce nouveau numéro, BOISmag poursuit sa série d’interviews spécial 20 ans avec un nouvel entretien consacré à l’ignifugation du bois. L’occasion de faire le point sur l’évolution des traitements, des modes d’applications et des réglementations, mais aussi d’évoquer l’avenir du secteur avec Jean-Baptiste Aurel, fondateur et dirigeant de Woodenha Industries.

Quand et pourquoi la société Woodenha Industries a-t-elle vu le jour ?

Woodenha a été créée en mai 2007 et a donc 15 ans maintenant. La volonté de départ trouve son origine dans le souhait de créer une structure industrielle spécialisée, non délocalisable, créatrice de valeur ajoutée primaire sur des marchés de niches techniques. Nous avons repris Protecflam (riche d’une expérience de près de 25 ans) il y a 6 ans déjà.

À quoi sert l’ignifugation des bois ?

Améliorer les performances au feu des matériaux est un acte essentiel de protection passive contre l’incendie. L’ignifugation

protège donc les personnes et les biens qui l’entourent.

Cela concerne le bois aussi bien dans la construction que dans les transports maritime et ferroviaire.

Quels sont les types de produits bois/d’ouvrages concernés par ce traitement ?

Les types de produits sont très variés. On peut citer tout d’abord parmi les produits de construction, les parements comme les lambris, les bardages, les habillages à claire-voie en mur ou plafond, mais également tous les types de panneaux acoustiques ou non, structurels ou non.

  « Toutes les solutions de Woodenha & Protecflam passent par une évaluation de durabilité adaptée au contexte d’utilisation.  »

Comment se déroule un traitement par ignifugation : procédé, application, types de produits utilisés, coût, durabilité dans le temps… ?

 Il y a deux grands types d’amélioration de performances qui peuvent éventuellement être combinés. On distingue ainsi les solutions dans la masse des matériaux des solutions de surface.

On peut imprégner des éléments durant le processus de fabrication de panneaux dérivés du bois, imprégner en autoclave vide & pression des panneaux de bois massifs reconstitués comme les contre-plaqués ou les multi-plis massifs, mais aussi des bois massifs plus ou moins profilés.
Tous les produits de construction peuvent recevoir aussi des aspersions de retardateurs de flamme ou bien des systèmes intumescents de finition translucides ou opaques.
Les types de produits utilisés sont concentrés autour de molécules contenant du phosphore et de l’azote principalement. Toutes les solutions de Woodenha & Protecflam passent par une évaluation de durabilité adaptée au contexte d’utilisation. Pour les produits de construction ignifugés, la NF EN 16 755 est la référence. Elle permet de donner une durabilité non limitée a priori pour les intérieurs secs ou humides et les extérieurs abrités ou exposés aux intempéries. Les évaluations sont différentes et complémentaires. Par soucis de performance durable nous doublons, ou plus, ces périodes d’exposition afin d’offrir les meilleurs résultats possibles.

 À l’image des produits de protection ou de préservation du bois, existe-t-il des traitements plus écologiques, plus biosourcés que d’autres ? Des substances interdites ?

Les produits ignifuges ne sont pas des biocides. Ce sont des solutions qui rentrent naturellement dans le spectre réglementaire et bien connu de REACH « Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals », soit « enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques ».
Parmi les buts principaux nous retrouvons : protéger la santé humaine, sécuriser la manipulation par les salariés, être transparent et traçable. Les produits mis en œuvre par aspersion ou en autoclave sont exempts de molécules organiques (COV ou formaldéhyde qu’ils piègent d’ailleurs), en phase aqueuse, présentent des pro – fils d’émission A+ et les produits ignifugés qui en découlent satisfont aux règles d’évaluation les plus strictes comme celles du marché californien.
En outre, la toxicité des fumées lors de sinistre est également évaluée et permet des utilisations dans les endroits les plus confinés  : trains, bateaux civils ou militaires, etc. Une partie de nos produits est même évaluée pour le contact avec la peau des bébés ou pour l’utilisation dans les chais de vinification.
Alors nos prestations respectent-elles l’environnement, les salariés, les utilisateurs ? La réponse est définitivement oui. Pouvons-nous nous améliorer ? Si nous cessons d’aspirer à l’excellence, nous ne serons plus bons.

Quels produits employez-vous le plus souvent ? La formulation des produits a-t-elle évolué depuis la création de la société ?

 Nos deux principales gammes de produits sont les Hydroflam® et les Verniflam®. Nos formulations et nos recettes évoluent régulièrement afin d’améliorer toutes les qualités déjà évoquées, mais aussi d’en faire des produits plus stables, plus esthétiques. La mission de nos développements, en plus d’apporter une meilleure protection, est de satisfaire à la fois à la contrainte réglementaire et aux exigences esthétiques des concepteurs.

Quels sont vos principaux clients ? En plus du marché français, intervenez-vous aussi à l’étranger ?

Nos principaux clients sont industriels, fabricants, constructeurs. Mais finalement, notre réelle cible sont les prescripteurs dans tous les secteurs. Et si nous exportons quelques prestations, ce sont surtout les valeurs ajoutées et la typicité de nos performances qui permettent à nos clients d’exporter des produits de pointe sur des marchés de niche.

L’ignifugation de certains ouvrages est-elle obligatoire ? Les réglementations différent-elles selon les pays ?

 L’ignifugation n’est jamais obligatoire, en revanche la réglementation exige une performance. Nous participons à l’obtention de cette performance en prouvant au travers d’essais que des produits, leur montage et assemblage, comportement au feu amélioré vont permettre une gestion raisonnable du risque correspondant à l’objectif de la réglementation.
Ces réglementations sont différentes d’un pays à l’autre, mais les évaluations sont communes. Pour le bâtiment, la gestion du risque reste souveraine et nationale. Pour le transport, les échelles sont plus régionales : européenne pour le train, mondiale pour la navale et l’aéronautique.

Quels volumes de bois traitez-vous chaque année ?

La notion de volume n’est pas un indicateur fiable de notre activité. Ignifuger un CLT sur chantier pour améliorer la résistance au feu avec nos Verniflam® ou ignifuger en autoclave un CP de 3 mm d’épaisseur sont des situations courantes. L’échelle tourne plutôt autour de centaines de milliers de m² de surfaces concernées.

 

Quelles sont vos perspectives pour l’année 2022 ?

 Nos entreprises sont en croissance depuis 15 ans et nous ne souhaitons pas nous arrêter. Nous poussons toujours notre Recherche & Développement afin d’améliorer nos processus, la performance de nos solutions ignifuges et finalement celles de nos produits ou de nos prestations.

La pandémie de Covid puis la guerre en Ukraine ont-elles eu un impact sur votre activité, vos approvisionnements, vos prix ou vos délais d’intervention ?

 Les facteurs exogènes sont nombreux, mais nous nous adaptons et nous mettons dans une perspective d’anticipation permanente. Nous subissons comme tout le monde la pression incroyable des prix pour des raisons plus ou moins bonnes. L’impact se ressent sur nos tarifs. Les délais sont maîtrisés et nous sommes dans une démarche constante d’autonomie la plus grande possible.

Comment imaginez-vous l’ignifugation des bois dans 10 ou 20 ans ? Quelles seront les grandes évolutions de demain en termes de formulation, d’application, de réglementation… ?

Tout d’abord la réglementation, elle est plutôt stable. En revanche, ce qui a changé dans le bâtiment ce sont essentiellement deux facteurs : les matériaux biosourcés et les systèmes constructifs qui les accompagnent, la possibilité de montrer leur performance adéquate grâce à des essais et des avis de laboratoire.
Nous sommes donc toujours dans une phase très lourde de tests à moyenne ou grande échelle. Cela nous permet avec le temps d’engranger quantités de données et de rentrer ainsi dans le monde numérique de l’ingénierie de la sécurité incendie.

Enfin, nous travaillons sur des formulations dont les ressources sont renouvelables ou issue de sous-produits peu valorisés d’autres industries en particulier de l’agro-alimentaire. Depuis longue date, nous avons des formules issues du vivant et nous accentuons nos efforts. Ils passent aussi par des mises en œuvre plus performantes. Durabilité, sécurité et gestion soutenable sont donc les réels traceurs du futur de notre métier.

 

Pensez-vous que le marché de l’ignifugation est amené à se développer dans les années à venir ?

Plusieurs tendances sont convergentes. La production mondiale s’oriente vers un retour à l’utilisation de ressources renouvelables qui sont généralement issues du vivant. Elles sont donc combustibles.
Les densifications des zones d’habitations, des moyens de transport continuent également malgré l’épisode « coronavirus ». La responsabilité déléguée, trop souvent à l’extrême, est monnaie courante.
Tous ces indices nous montrent que la gestion des risques, y compris ceux de l’incendie, sont des tendances pérennes.

Avez-vous un message à faire passer aux professionnels de la filière ?

Un humble message qui tient en deux principes fondamentaux : Le premier réside dans le fait que nous avons un matériau parfaitement en accord avec des objectifs de raison et de pérennité.
À aucun moment il ne faut avoir l’outrecuidance de penser que les matériaux naturels n’ont pas besoin de technologie pour satisfaire à tous les défis auxquels nous les destinons.
L’amélioration de la performance au feu en est une. Le deuxième est que la performance passe inéluctablement par les voies escarpées de la recherche, du développement, des essais, de l’évaluation des systèmes dans leur globalité.

La réussite s’écrit de nos mains afin de saisir un futur qui est à leur portée.

 

Propos recueillis par Adèle Cazier