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ENTRETIENS AVEC LA FILIÈRE – Nicolas Douzain-Didier

” D’énormes investissements sont en cours dans tous les territoires “

Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération Nationale du Bois

Entre la crise des scolytes, la pandémie de Covid 19 ou le conflit russo-ukrainien, la première transformation du bois a dû faire face à de nombreux événements au cours des derniers mois. Malgré tous ces imprévus, les scieries françaises tournent toujours à plein régime, tentant de répondre au mieux à une demande très soutenue. L’occasion de dresser un état des lieux du marché et de passer en revue les prochains défis à relever pour les professionnels du secteur avec Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération Nationale du Bois.

 

Pouvez-vous nous faire un rapide point sur l’état du marché des scieries de feuillus et de résineux au cours des derniers mois ?

Concernant les feuillus, l’activité est plutôt bonne avec une demande soutenue dans toutes les qualités et toutes les destinations. Seul bémol, la demande étant plus importante que l’offre, les approvisionnements restent compliqués. Les scieries déstockent et ne parviennent pas à reconstituer leurs stocks assez rapidement.

D’où l’augmentation des prix et les difficultés, annoncées de longue date, pour approvisionner les clients de la 2e transformation. Du côté des résineux, on a connu 12 mois historiques tant au niveau de la consommation que de l’activité. Aujourd’hui, l’activité reste forte même si l’on sent quelques signaux de perturbations sur les chantiers liés au manque de certains matériaux comme les
ferrailles… Mais l’activité reste globalement bonne.

« Les scieries ont traversé avec succès les crises sanitaires. Elles ont donné la priorité à leurs clients historiques, tout en augmentant leurs parts de marché. »

Concernant le chêne et les exportations de grumes, un récent accord a vu le jour
pour la forêt privée. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Avant la fin du quinquennat, le ministre de l’Agriculture et de la Forêt, Julien Denormandie, a voulu embarquer le Forêt Privée dans le « transformé en France » pour soutenir le label UE et la contractualisation.
La Forêt privée a donc signé cet accord qui ne représente qu’un point de départ. Il faut maintenant voir les résultats. L’État ne peut pas investir 1 milliard d’euros dans la forêt française pour que, au final, les transformateurs français manquent de bois !
Il faut que les mentalités changent et qu’un maximum de monde joue le jeu…

Les Assises de la Forêt et du Bois viennent de se clôturer. Quel bilan en retirez-vous ? Êtes-vous satisfait des propositions qui en sont ressorties ?

Le bilan de ces Assises est plutôt positif. Le point le plus important est l’octroi de 1 milliard d’euros consacré à la plantation et au renouvellement forestier. Ce qui représente à peu près, en termes de volume d’argent annuel, ce qui était alloué au Fonds Forestier National. Cette mesure est donc très satisfaisante, mais aussi indispensable à l’heure du changement climatique. Parmi les autres mesures annoncées, on peut citer un gros plan d’équipement des scieries en cogénération, doté d’une enveloppe de 200 millions d’euros, ainsi que 180 millions d’euros pour l’Appel à projets Systèmes constructifs bois. Tout ceci représente pas mal d’argent.

Reste toujours le sujet d’attribution des aides en fonction de la taille des entreprises, avec certains seuils d’attribution moins favorables aux plus grosses structures…

Avec l’entrée en vigueur de la RE2020 et la demande croissante en produits bois pour la construction, pensez-vous que la filière sera en mesure de répondre à la
demande ?

C’est justement pour être en mesure de répondre à l’augmentation annoncée de la demande que l’on a commencé par financer la cogénération afin d’équiper les
scieries en séchoirs pour qu’elles puissent faire davantage de produits d’ingénierie, pour qu’elles puissent coller et raboter. En moyenne, au cours des dernières
années, les scieries investissaient environ 380 millions d’euros par an.
Aujourd’hui, on est plus proche du milliard. D’énormes investissements sont donc en cours dans tous les territoires pour se préparer à la RE2020 qui concerne le neuf, mais aussi pour couvrir les besoins du marché de la rénovation.

Comment les scieries françaises ont-elles traversé la crise de Covid 19 ? Pensez-vous que la flambée des prix du bois qui a découlé de la pandémie soit amenée à perdurer ?

Les scieries ont traversé avec succès les crises sanitaires. Elles ont donné la priorité à leurs clients historiques, tout en augmentant leurs parts de marché. En termes de prix, il est vrai que les prix des bois français ont augmenté de 60 à 70 %.
Mais ces prix n’avaient pas bougé depuis 30 ans. Certes, cette augmentation a été très brutale, mais elle relève davantage du rattrapage que de la spéculation. En 30 ans, le prix du bois a largement moins augmenté que celui de la baguette de
pain ! Aujourd’hui, le prix des grumes continue et va continuer à augmenter, même si l’on atteint un plateau haut. Si l’on veut un renouvellement forestier digne de ce nom, il faut que le prix du bois soit correctement rémunéré.

Après le Covid, le conflit en Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie ont également des conséquences sur les approvisionnements en bois du Nord. S’achemine-t-on vers de nouvelles pénuries ? Vers une baisse de la production dans
certaines unités faute de bois ?


La guerre qui sévit actuellement en Ukraine ne risque pas de causer de pénurie sur les bois du Nord car les stocks sont là, à tous les échelons de la filière. Mais il est certain que l’onde de choc provoquée par ce conflit ne sera pas sans effet sur la France, du fait notamment de l’augmentation du prix de l’énergie. Concernant les contrats passés avec la Russie et la Biélorussie, les effets ne se feront sentir que l’hiver prochain avec un certain décalage car une tolérance a été accordée aux contrats passés jusqu’au mois de juin.
Enfin, au niveau européen, il est à noter que l’Allemagne et les Pays du Nord ont expédié 6 millions de m3 de bois aux USA au lieu d’approvisionner le marché européen. Il faut donc se reposer la question de l’export des grumes non plus de feuillus mais de résineux. On ne pourra pas servir tous les marchés (l’Europe, la Chine, les USA)…
À ce titre, et c’est une première, l’Allemagne demande aujourd’hui des protections sur les exportations de grumes de résineux. L’Europe doit anticiper ce problème dès aujourd’hui et réagir au plus vite pour amortir cette onde de choc !

Les jeux Olympiques de paris approchent. Qu’en est-il de la part du bois dans les futurs ouvrages olympiques ?

Pour l’instant, tout se déroule comme prévu, à savoir que 30 % des bâtiments des prochains JO devront être en bois, et la part du bois français devra atteindre 50 %. Tout cela concourt d’ailleurs à la bonne activité du secteur, en espérant que d’autres événements de ce type arriveront au cours des prochains mois…

Au vu des récents événements, on parle moins de la crise des scolytes qui sévit depuis plusieurs années dans le Grand-Est. Va-t-on vers une amélioration de la situation ?

Il est nécessaire d’accroître les volumes de bois transformés. Concernant les scolytes, on sort enfin de la crise. Alors que les aides au transport se terminent fin mai, les prix des bois sur pied ont augmenté de 60 % ces derniers mois et sont enfin revenus à leurs niveaux d’avant crise. Ce qui est plutôt un signe de normalisation.

Quels sont aujourd’hui les principaux atouts des scieries françaises ?

Notre principal atout est d’avoir une industrie de services, et de posséder la quatrième forêt d’Europe. Dans un monde où la relocalisation de la production devient un enjeu important, la France a donc une carte à jouer.

Et les prochains défis qu’elles devront relever ?

Le principal défi consistera à monter en gamme et à augmenter les volumes de bois transformés en France. Pour y parvenir, il faut sécher plus, raboter plus, coller plus et abouter plus. C’est sur ce segment qu’il y a le plus d’écart avec d’autres marchés. Et c’est sur ce segment qu’il faut concentrer nos efforts.

Propos recueillis par Adèle Cazier