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Les métiers du bois deviennent très technologiques

 

Yoann Quellien, PDG Cadwork France

Les métiers du bois deviennent très technologiques

 

Pouvez-vous nous présenter Cadwork France en quelques mots ?

Cadwork France développe des logiciels de CFAO (conception et fabrication assistée par ordinateur), généralistes et spécialisés dans le bois. Créée il y a 25 ans, la société a accompagné la digitalisation de la filière, et a su évoluer au fur et à mesure du marché. Elle emploie aujourd’hui 11 salariés, pour un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros. L’éditeur aide les acteurs de la construction bois à modéliser leurs chantiers, et intervient sur les ossatures, les charpentes ou encore le CLT (cross laminated timber, bois lamellé croisé). Ce qui préfigure l’avenir.

Le logiciel aide à modéliser le chantier, au niveau de l’ossature, de la charpente ou du CLT.

Quels enjeux clés identifiez-vous pour l’avenir de la filière bois ? 

Davantage de cohérence serait la bienvenue, à une période charnière pour la filière. Pour être certain que le marché de la construction bois réponde aux attentes, il faut que le matériel puisse être posé. C’est simple à dire, mais cela suppose une unité de la chaîne, depuis la forêt jusqu’à la déconstruction. Or, aujourd’hui, chacun donne une définition différente de la filière bois. Certains y voient des bureaux d’études et la construction, d’autres la forêt ou des scieurs. La forêt française est très bien gérée. Mais alors que la construction bois connaît un essor, on se retrouve confrontés à une pénurie, alors que le bois est bel et bien présent en France ! À vouloir gagner trop d’argent, la filière exporte le bois de production, pour le racheter ensuite, une fois transformé. Il ne faudrait pas que la filière bois française ne soit plus en capacité de produire du bois de construction. Il y a urgence à agir. La grosse problématique de mes clients, aujourd’hui, ce sont les approvisionnements, bien plus que les enjeux d’optimisation du temps !

Quelle solution proposez-vous pour sortir de ce cycle à l’avenir ?

 L’État, les fédérations et les acteurs doivent intervenir ensemble. L’appât du gain guide trop certains choix. En ressoudant la filière dans son ensemble, celle-ci pourra mieux garder la matière première sur le territoire national.

Quel avenir pressentez-vous pour la filière du bois construction ?

 Je relativise l’idée selon laquelle il y aurait une explosion du marché du bois de construction. En trois ans, la part des bâtiments bois est passée de 4% à 5%. Cela fait certes une augmentation, mais le phénomène reste encore à la marge, même si on voit émerger de belles vitrines, par exemple avec le Village olympique de Paris 2024. Les mentalités ont encore du mal à évoluer. Le bois est encore trop vu sous l’angle des chalets, alors que bon nombre de constructions bois ne sont pas visibles de l’extérieur. Cela dit, avec la mise en place de la RE2020, ce matériau a de belles perspectives. Son empreinte CO2 est bien moindre que celle d’autres matériaux.

Comment voyez-vous l’évolution des métiers liés au bois ? 

On parle souvent de la tradition autour du bois, mais les métiers deviennent très technologiques. On voit des bras robotisés, de la réalité augmentée et virtuelle. Cadwork contribue à toute cette technologie, qui ne concerne pas que les grosses entreprises. Il y a un besoin qui se fait sentir dans les PME. Beaucoup disposent de CFAO, ce qui est logique dans la construction bois, et utilisent des CRM et des ERP, qui pèsent des coûts énormes. Mais bien souvent, les plannings de ces entreprises sont encore établis sur des tableaux Excel. Nous les poussons à travailler sur un mode Bim, au sens large, et pas uniquement pour l’aspect 3D. Le Bim, c’est aussi la data qui prend en compte les temps de transfert, de fabrication, d’usinage… Tous ces paramètres font partie intégrante du prix d’une maison. Pourtant, aujourd’hui, peu de PME peuvent dire combien a réellement coûté un bâtiment.

Cette digitalisation de la filière passe par de la formation au sein des PME. Quelle est votre méthode pour «évangéliser» vos solutions ? 

Nous formons directement à nos logiciels, et ne soustraitons rien dans ce domaine. Là où tout se joue, c’est la formation en amont, aux niveaux CAP, BEP, DUT, BTS et écoles d’ingénieurs. Dès le début, nous sommes présents en tant qu’intervenants, pour former aux technologies de demain, dans 230 écoles en France. Cadwork prend aussi des stagiaires, des apprentis, des doctorants, pour qu’ils travaillent sur les algorithmes d’optimisation. Les écoles disposent d’un temps que nous n’avons pas toujours! Des partenariats poussés sont tissés avec l’ESB Nantes et l’Enstib (Epinal), pour explorer les technologies drones, les scanners, la robotique…

Concrètement, en quoi ces nouvelles technologies deviennent-elles indispensables ?

 Une grosse part du marché bois va porter sur des travaux en attique, de rénovation et de surélévation. Ces travaux vont doper l’utilisation et le développement des nouvelles technologies. En effet, sur ces typologies de marché, la donnée devient très importante. Or, les plans en 3D n’existent pas dans l’ancien. Il faut faire appel à de la rétroconception, via des drones et des scanners, qui vont coller une forme de coque isolante autour du bâtiment.

Ces usages sont-ils encore marginaux ?

 Non, ils commencent à se généraliser. Les prix d’acquisition des matériels deviennent raisonnables. On peut aussi apporter ces services ponctuellement, en général sur de gros bâtiments. Les demandes proviennent en général de gros faiseurs, qui cherchent par exemple à rénover plusieurs centaines d’appartements ou de maisons. Mais la dimension technologique intervient aussi dans les extensions, les pergolas, les rénovations de couvertures…

Quelles sont vos pistes d’innovations ? 

Nous développons des fonctionnalités CRM – ERP, et des logiciels d’optimisation de matières et de logistique, à travers nos logiciels Opti Panneaux et Opti Cargo. Opti Panneaux permet d’utiliser le moins de matières premières possible, sur des commandes faites par des grossistes. Opti Cargo calcule le chargement de la matière destinée à être livrée sur le chantier, avec un plan de chargements des camions, dans le bon ordre. Auparavant, cet aspect pourtant central n’était pas automatisé. À plus long terme, nous lancerons Opti Logistique, pour gérer la ressource et les plannings. La construction bois est assez spéciale, car les clients multiplient les fonctions: conception, mise en œuvre, dessinateur-projeteur, demandes en mairie, fabrication, pose, clés en main… Cette gestion globale accentue la dimension logistique. Le moindre décalage de chantier suppose que quelque chose doit être pris ailleurs. Nos outils aideront de plus en plus les entreprises dans la définition de ces économies d’échelle et ces calculs d’impact. 

Nous poussons les entreprises à travailler sur le mode BIM.

À vouloir gagner trop d’argent, la filière exporte le bois de production, pour le racheter ensuite, une fois transformé…

 

Propos recueillis par Hubert Valatte