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L’industrie du bois va continuer à se concentrer

 

Marc Siat, directeur général du Groupe Siat

L’industrie du bois va continuer à se concentrer

Le Groupe Siat a plus de 200 ans. Quel est le secret d’une telle longévité ?  

Je ne peux pas envisager l’avenir du groupe sans évoquer le passé. Cela fait 200 ans que nous sommes implantés sur trois sites alsaciens, dans un mouchoir de poche, dans trois petits villages à côté de Strasbourg. Tant d’époques ont été traversées au fil des générations  ! 

Nous éditons en 2 000  exemplaires un livre de  300 pages, riche en croquis et photos anciennes, pour retracer cette épopée industrielle dans le bois. Nous avons la flexibilité d’une petite scierie, avec la force d’une entreprise structurée. Pour nous, le client type, c’est un petit négociant de région parisienne, qui ne peut pas commander un camion complet, et qui va vouloir 20 références différentes dans son tiers de camion. Nous détenons une expertise dans cette logistique compliquée. Autre marque de fabrique, nous allons très loin dans le modèle RSE, avec une utilisation complète, sur site, de tous les connexes. L’écorce sert de combustible, pour produire de l’électricité via la cogénération, et la sciure est transformée en granulés sur site. Siat ne sort du site que des produits finis.

Quels sont vos nouveaux objectifs ?

Nos clients se sont beaucoup concentrés ces 20  dernières années : Leroy Merlin, Saint-Gobain, CMEM… Et l’industrie du bois va continuer à se concentrer. Face à ce phénomène, nous avons la volonté de compléter notre maillage national. Nous ne couvrions pas le sud de France, ni le Grand Ouest. Nous avons eu une belle opportunité avec la reprise de deux unités dans le Tarn, à côté de Castres, en octobre et décembre 2020. Siat porte un gros projet d’investissement pour les remettre en état et monter en capacité. Un des deux sites tarnais sera recentré sur les métiers de la couverture, l’autre offrira à nouveau une offre de bois local. 

Par exemple, les magasins Leroy Merlin de la région toulousaine ou du littoral méditerranéen pourront être alimentés depuis ces implantations tarnaises. Notre modèle est de dupliquer le modèle alsacien, pour couvrir parfaitement, à terme, la France, tout en respectant la logique RSE, en répondant en local à chaque fois.

Pourquoi poursuivre cette stratégie de maillage du territoire ?  

Parce que le besoin de bois va en s’accroissant, et que nous croyons à l’économie circulaire et aux circuits les plus courts possibles. La France manque de capacité de production. Dans le massif tarnais, par exemple, il n’y a pas assez de capacité de production. Et ce qu’on prélève dans les forêts part en Chine ou en Allemagne, pour revenir sous forme de produits finis. Cela ne va pas dans le sens de l’histoire. Il faut développer des scieries pour revenir à des échelles locales. 

 Le bois est dans les radars comme il ne l’a jamais été. 

 

De manière générale, quels challenges va devoir relever la filière bois ? 

La filière bois a trois beaux challenges devant elle. Tout d’abord, le défi de l’aval. Les consommateurs veulent de plus en plus de bois chez eux. Il nous faudra répondre à ce besoin supplémentaire en bois, en poussant la production locale, avec le support du politique.

 Deuxième challenge, une réponse à la crise sanitaire en forêt. Nous percevons les effets du réchauffement climatique, avec, par exemple, les scolytes dans les Vosges. Les sécheresses infligent de vrais traumas en forêt. Il faudra donc nous adapter des deux côtés : répondre à la pression de l’aval, en gérant aussi le fait que nous aurons moins de bois à offrir, ou plus le même. 

Ce double défi qui se profile pour l’industrie va restructurer la filière bois doit se fédérer autour de ces enjeux. Il est dans l’intérêt de tout le monde qu’il y ait davantage de bois sur le marché, et que les forêts françaises vivent. J’identifie, enfin, un enjeu autour de la communication. L’un des problèmes que nous rencontrons actuellement est d’expliquer à la population notre métier, à savoir l’exploitation de la forêt. Les gens veulent du bois, mais pas couper les arbres !

Nous devons faire preuve de pédagogie, en expliquant qu’une forêt entretenue stocke du carbone et permet d’approvisionner le marché de la construction bois. Bien sûr, le préalable de la replantation d’un nouvel arbre, pour chaque arbre coupé, s’impose. C’est le cas en France. La population n’établit pas ce lien entre le prélèvement de la ressource et la transition écologique, peut-être parce qu’il n’est pas intuitif. D’où un effort de communication à accomplir de notre part. Le bois pèse trop peu dans le village média. Le béton a déployé des instances puissantes de lobbying, au sein des écoles d’architecture, des ministères, à Bruxelles… Dans la filière bois française, nous ne sommes que trois groupes à réaliser plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. De fait, nous ne pouvons pas financer des lobbys, et nous subissons trop. Il nous faut être plus présents au niveau européen. 

La filière bois est-elle suffisamment structurée ? Vers quel modèle évoluer ? 

La filière n’est pas structurée de façon efficace. On n’y produit plus de décision. Elle se compose de beaucoup d’interprofessions, dans chaque région, et au niveau national, dans différentes instances – FNB, France Bois Forêt. Ce maquis d’organisations ne facilite pas les choses. Même pour moi, il est difficile à comprendre  ! Sans compter la redondance de postes qui effectuent peu ou prou les mêmes tâches. Ce qui n’enlève rien au très bon travail des gens qui s’y trouvent. Le problème vient de cette structuration, trop complexe selon moi. Or, un enjeu aussi stratégique que l’export des grumes vers la Chine se joue à Bruxelles. Les marchés deviennent de plus en plus internationaux. 

Les Chinois achètent désormais dans les Vosges des grumes de résineux et de feuillus, qui partent en containers. Si nous ne remettons pas en cause cette évolution, si nous ne nous montrons pas à la hauteur en ne nous équipant pas de capacités de production high tech, les Allemands et les Chinois viendront prendre le bois chez nous, le transformeront chez eux et nous le revendront en produit fini. La filière bois doit créer des outils de production et investir dans des usines modernes, à l’image ce qui se fait en Allemagne et en Autriche. C’est la condition sine qua non pour atteindre des coûts de revient très bas. La filière ne pourra pas survivre avec des outils industriels vieux de 40 ans. 

Les enjeux sont multiples. Quel message adressez-vous aux partenaires et interlocuteurs institutionnels de la filière bois ? 

Aux banquiers et aux politiques de nous aider  ! Je pense aussi à l’ONF et aux propriétaires forestiers, pour planter les bonnes essences. Au législateur et à Bruxelles, aussi, d’agir. La France est l’un des derniers pays qui n’interdit pas l’export de ses grumes. Laisser partir notre bois en Chine risque de saper notre industrie. 

Quelles sont les essences à planter en France ?

La réponse n’est pas simple. Les grandes parcelles monoessences n’existeront plus. Les épicéas en rang d’oignons, c’est fini. Il faut réfléchir ‘en dehors de la boîte’, en menant des essais. Il est urgent de développer une approche plus complexe, intégrant l’étude des sols, la pluviométrie, le positionnement… Il faut planter des essences exploitables par l’industrie. Cela nécessite une coordination de la filière, en discutant davantage avec l’aval, pour créer un modèle gagnant-gagnant. 

Malgré ces difficultés, la filière bois revient sur le devant de la scène politique. De bon augure pour l’avenir ?  

Le bois est, c’est exact, dans la lumière comme il ne l’a jamais été. C’est une bonne chose. Cela dit, l’État a-t-il les moyens de ses ambitions ? 50 M€ ont été affectés à l’ensemble de la filière, et encore une partie sous forme d’avances remboursables : c’est presque extrêmement faible. 

La formation professionnelle est-elle à la hauteur pour répondre aux enjeux futurs ?

En matière de formation, il s’agit de repenser le modèle éducatif et de valoriser les métiers de l’industrie.Il y a une pénurie dans certains postes, comme par exemple en maintenance.

Siat est une PME historique. Êtes-vous confiant pour son avenir ? 

Oui. Siat a fêté ses 200  ans il y a trois ans. J’en incarne la 7e génération  ! L’entreprise a toujours su rebondir, au gré des incendies et des révolutions technologiques, en faisant preuve d’anticipation, pour s’inscrire dans la révolution d’après. C’est une constante depuis deux siècles, et c’est l’une des raisons qui fait que nous sommes toujours là. 

Propos recueillis par Hubert Valatte